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La Communautarisation de la profession d'Avocat dans l'Espace UEMOA

Communautarisation de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA : 19 ans d’intégration juridique et d’enjeux professionnels

Depuis l’adoption du Règlement n°10/2006/CM/UEMOA sur la libre circulation des avocats, la profession d’avocat dans l’espace UEMOA connaît un processus progressif et structurant de communautarisation. Ce terme désigne ici l’édification d’un véritable ordre juridique professionnel régional, régi par des normes communes, tourné vers la libre circulation, l’harmonisation des pratiques et la construction d’une éthique partagée.

Après 19 ans d’évolution normative, l’UEMOA offre aujourd’hui un des dispositifs les plus aboutis d’Afrique en matière de régulation supranationale d’une profession libérale. Ce processus reste toutefois inachevé, confronté à des défis institutionnels, à des résistances nationales, et à l’émergence de nouveaux enjeux techniques.

I. Une construction progressive de la cohérence de l'architecture juridique communautaire  

Le socle normatif de la communautarisation repose sur une série de textes juridiques complémentaires, qui définissent les fondements de l’accès, de l’exercice, de la discipline et de la déontologie des avocats à l’échelle régionale :

  • Le Règlement n°10/2006/CM/UEMOA, adopté 8 ans avant le Règlement n°05, constitue l’acte de naissance de la mobilité professionnelle dans l’Union. Il pose le principe de la liberté de circulation et d’établissement des avocats ressortissants de l’UEMOA, avec reconnaissance de leur capacité à exercer dans tout État membre.

  • Le Règlement n°05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 marque une avancée qualitative. Il harmonise les conditions d’accès à la profession, le régime disciplinaire, les modalités d’exercice individuel et collectif, ainsi que les principes généraux de la profession. Il institue la reconnaissance mutuelle et garantit l’égalité d’exercice entre avocats communautaires.

  • À partir de 2018, sept instruments d’exécution viennent structurer cette architecture :

    • Le Code de déontologie des avocats de l’UEMOA (2018) : adopté par les barreaux, il introduit une base éthique commune (indépendance, secret, loyauté, dignité).

    • Le Règlement n°002/2019 sur la formation initiale et continue, et le Règlement n°001/2019 sur le CAPA : ces textes définissent un socle commun garant de l'obligation de compétence de l'avocat.

    • Le Règlement n°003/2018 sur l’acte d’avocat : il renforce la force probante des actes contresignés par avocat dans l’espace régional et établit la possibilité de lui conférer la force exécutoire au sens de l'Article 33 de l'AUPSRVE.

    • Le Règlement n°002/2018 sur la CARPA : il uniformise la gestion des fonds clients et les modalités de fonctionnement du compte CARPA.

    • Le Règlement n°001/COM/UEMOA relatif au droit de plaidoirie : il encadre le paiement d'une redevance financière par toute personne ayant constitué un avocat.

Ce corpus normatif s'impose comme une véritable constitution professionnelle communautaire, inspirée en partie du modèle européen (Directive 98/5/CE), mais dotée d’une force d’application directe dans les États membres.

II. Une territorialité professionnelle repensée 

La communitarisation de la profession a profondément transformé son ancrage territorial traditionnel. Désormais, l’avocat n’est plus limité à la juridiction de son barreau national. Grâce aux principes posés par le Règlement n°10/2006/CM/UEMOA, puis consolidés et précisés par le Règlement n°05/CM/UEMOA de 2014, tout avocat régulièrement inscrit dans un barreau de l’Union peut exercer, plaider et même s’associer dans un autre État membre, sans devoir se soumettre à une procédure d’intégration nationale complète.

Ce droit à la libre circulation professionnelle s’accompagne de la possibilité d’ouvrir des bureaux secondaires dans plusieurs États membres ou d’adhérer à des structures régionales pluridisciplinaires. Cette évolution a permis l’émergence de cabinets à rayonnement communautaire, établis à Lomé, Cotonou, Dakar ou Ouagadougou, et opérant simultanément dans plusieurs États selon une logique de guichet juridique unique. 

La communautarisation a également permis une intensification de la participation des avocats aux contentieux transfrontaliers, notamment en matière de droit OHADA, de fiscalité régionale et d’arbitrage international. Il n’est plus rare aujourd’hui de voir par exemple un avocat béninois défendre une entreprise togolaise dans une procédure arbitrale siégeant à Abidjan, ou un avocat sénégalais représenter un investisseur burkinabè dans un contentieux commercial devant les juridictions de Lomé. Cette circulation professionnelle élargie est d’autant plus significative que les États membres de l’UEMOA partagent désormais un socle juridique harmonisé (OHADA, CIMA, UEMOA, CEDEAO), rendant les compétences transnationales plus que jamais indispensables.

Toutefois, cette mobilité reste souvent entravée dans la pratique. En effet certains barreaux exigent encore des réinscriptions déguisées, ou imposent des conditions informelles (domiciliation exclusive, lettres de parrainage, etc.). Il en est de même pour plusieurs juridictions nationales qui ignorent ou écartent parfois le droit communautaire, faute de formation adéquate des magistrats ou de volonté institutionnelle.

La tension entre norme communautaire et souveraineté professionnelle locale demeure l’un des principaux freins à l’effectivité du système.

III. Une gouvernance professionnelle communautaire perfectible

Malgré l’existence d’un droit régional substantiel, l’UEMOA ne dispose toujours pas d’un organe de régulation communautaire de la profession. S'il existe bel et bien une coordination inter-barreaux par le biais de la Conférence des Barreaux de l'espace UEMOA, cette dernière n'est pas, ou en tout cas pas encore une autorité régulatrice communautaire et disciplinaire au sens institutionnel strict.

La régulation de la profession reste donc en partie strictement nationale, alors même que la circulation des avocats est devenue communautaire. Il peut en découler un certain déséquilibre institutionnel :

  • En cas de sanction dans un État, aucun mécanisme automatique de communication ou d’exécution n’est prévu à l’échelle régionale.

  • La formation continue, bien que obligatoire dans les textes, reste inégalement appliquée sans coordination régionale.

  • La disparité dans l’organisation de l’Examen du CAPA tout comme dans celle du test d’entrée au Centre de formation professionnelle des avocats crée une inégalité fondamentale d'accès à la profession entre les citoyens des différents états membres de l'Union, malgré le contexte communautaire.

  • Les réunions de bâtonniers de la Conférence des Barreaux (Lomé 2023, Abidjan 2024) ont un impact consultatif, mais ne disposent pour l'instant d’aucun mandat normatif.

Ce déficit de gouvernance compromet la cohérence du système en dépit de la qualité des textes.

IV. Une dynamique titubant entre approfondissement et essoufflement

Le projet de communautarisation de la profession est aujourd’hui à un tournant. En tout état de cause,  la base juridique est complète, cohérente, et suffisamment moderne. La génération montante d’avocats et de professionnels est ainsi accoutumée aux enjeux UEMOA, aux logiques de cabinet intégrés ainsi qu'aux standards déontologiques transversaux.

Mais malgré la solidité du socle normatif communautaire, la profession d’avocat dans l’espace UEMOA reste privée de certains outils techniques essentiels à son unification fonctionnelle. À ce jour, aucun registre professionnel régional n’existe pour recenser, de manière centralisée et accessible, les avocats habilités à exercer dans l'espace de l'Union. Cette carence empêche une véritable traçabilité des parcours professionnels à l’échelle communautaire et rend plus difficile la lutte contre l’exercice illégal ou la récidive disciplinaire transfrontalière. À titre de comparaison, le Système d’information sur les avocats européens (Find-a-lawyer), coordonné par le Conseil des barreaux européens (CCBE), permet de consulter les données essentielles des professionnels inscrits dans tous les barreaux de l’Union européenne — un outil qui fait encore défaut à l’UEMOA.

Par ailleurs, la gestion financière des fonds clients, bien qu’encadrée par le Règlement n°002/2018/COM/UEMOA relatif à la CARPA, reste fragmentée et peu modernisée. Aucun mécanisme de CARPA dématérialisée à l’échelle régionale n’est aujourd’hui opérationnel, ce qui limite la transparence, la fluidité et la sécurité des transactions juridiques inter-États. Dans certains pays comme la France ou le Maroc, des plateformes numériques permettent désormais aux avocats de déclarer, gérer et tracer en ligne les opérations CARPA, offrant un modèle de gestion déontologique et numérique dont l’UEMOA pourrait s’inspirer.

Un autre manque criant réside dans l’absence d’un dispositif régional certifié de formation continue. Si le Règlement n°002/2019 impose une obligation générale de formation professionnelle initiale et continue, celle-ci est laissée à la discrétion des barreaux nationaux, avec des disparités considérables de moyens et de contenus. Il n’existe pas, à ce jour, de plateforme ou de catalogue communautaire de formations agréées, ni d’harmonisation des obligations de recyclage professionnel. À l’inverse, dans l’Union européenne, des modules transnationaux validés par le CCBE permettent aux avocats d’acquérir des compétences utiles au-delà de leur propre système juridique.

Ces carences techniques sont d’autant plus préoccupantes que de nouveaux défis professionnels émergent avec force. La digitalisation de la pratique du droit, l’accès aux plateformes judiciaires électroniques, le développement des legaltech, ou encore l’exercice transnational par visioconférence ou signature électronique sont désormais des réalités dans plusieurs États membres. Pourtant, aucun des règlements communautaires actuels ne prend en compte ces mutations. Le plus grand risque est que la profession d’avocat, structurée à l’échelle de l’Union, devienne en pratique obsolète face aux exigences contemporaines de mobilité, de rapidité et de sécurité technologique.

Face à ces constats, une révision coordonnée de l’ensemble du dispositif communautaire s’impose. Cette réforme devrait viser, en priorité, à :

  • institutionnaliser un organe professionnel communautaire permanent, chargé de superviser l’harmonisation des pratiques et de coordonner les évolutions de la profession ;

  • garantir l’application uniforme des textes communautaires, notamment via la création d’un registre régional des avocats, interconnecté aux barreaux nationaux et aux juridictions ;

  • introduire une véritable dimension numérique dans la réglementation, en adaptant les textes existants à l’exercice en ligne, aux signatures électroniques, à la formation à distance et à la gestion digitale des obligations déontologiques.

C’est à cette condition que l’UEMOA pourra faire passer la profession d’avocat d’une intégration normative encore partielle à une intégration professionnelle réelle, moderne et pérenne, à l’image des systèmes juridiques les plus avancés dans le monde.

Conclusion

En 19 ans, la profession d’avocat dans l’UEMOA est passée d’un modèle strictement national à une logique juridique régionale. La communautarisation a produit un droit professionnel commun, une mobilité encadrée, une déontologie partagée, et une ambition d’unité fonctionnelle.

Le pari juridique est largement tenu. Mais son opérationnalisation reste inégale, et son institutionnalisation inachevée. L’avenir de la profession se joue désormais dans sa capacité à transformer un cadre normatif pionnier en une pratique professionnelle pleinement régionale, inclusive et adaptée aux réalités contemporaines.

Sources:

Cet article s’appuie sur les textes communautaires suivants adoptés par l’UEMOA :

  • Règlement n°10/2006/CM/UEMOA du 25 juillet 2006 relatif à la libre circulation et à l’établissement des avocats ressortissants de l’Union ;

  • Règlement n°05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA ;

  • Règlement d’exécution n°001/2019/COM/UEMOA relatif au Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) dans l’espace UEMOA ;

  • Règlement d’exécution n°002/2019/COM/UEMOA relatif à la formation professionnelle initiale et continue des avocats inscrits dans un des barreaux de l’UEMOA ;

  • Règlement d’exécution n°003/2018/COM/UEMOA relatif à l’acte d’avocat ;

  • Règlement d’exécution n°002/2018/COM/UEMOA relatif à la Caisse Autonome de Règlements Pécuniaires des Avocats (CARPA) ;

  • Règlement d’exécution n°001/COM/UEMOA relatif au droit de plaidoirie ;

  • Code de déontologie des avocats de l’UEMOA.

Les sites consultés pour la documentation, les textes consolidés et les actualités juridiques incluent notamment :

  • www.uemoa.int – site officiel de la Commission de l’UEMOA ;

  • www.ordredesavocats.sn – Ordre des avocats du Sénégal ;

  • www.barreaudutogo.tg – Barreau du Togo ;

  • www.cfpa.tg – Centre de formation professionnelle des avocats du Togo ;

  • www.barreauduniger.ne – Barreau du Niger (notamment les actes du 3e Congrès des avocats de l’UEMOA) ;

  • Jurisprudence de la Cour de Justice de l’UEMOA, notamment l’arrêt n°01/2021 du 19 mai 2021 (portée contraignante des règlements communautaires).

Des comparaisons ont également été effectuées avec les dispositifs pertinents de l’Union européenne, notamment la Directive 98/5/CE du 16 février 1998 relative à l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un autre État membre.

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